Résumé du manifeste des économistes atterrés

Publié le par Presence Sud Europe

 « Les politiques de soumission au pouvoir de la finance mettent en danger lavenir du projet européen. Atterrés par ce constat nous avons pris linitiative décrire ce manifeste »

 

Manifeste d’économistes atterrés, 01/09/2010

CRISE ET DETTE EN EUROPE :

10 FAUSSES EVIDENCES, 22 MESURES EN DEBAT

POUR SORTIR DE L’IMPASSE

 

 

                                                                 Introduction

La reprise économique mondiale, permise par une injection colossale de dépenses publiques dans le circuit économique (des États-Unis à la Chine), est fragile mais réelle. Un seul continent reste en retrait, l’Europe. Retrouver le chemin de la croissance n’est plus sa priorité politique. Elle s’est engagée dans une autre voie : celle de la lutte contre les déficits publics.

Dans l’Union Européenne, ces déficits sont certes élevés –  7% en moyenne en 2010 – mais bien moins que les 11% affichés par les États-Unis . Alors que des États nord-américains au poids économique plus important que la Grèce, la Californie par exemple, sont en quasi-faillite, les marchés financiers ont décidé de spéculer sur les dettes souveraines de pays européens, tout particulièrement ceux du Sud. L’Europe est de fait prise dans son propre piège institutionnel : les États doivent emprunter auprès d’institutions financières privées qui obtiennent, elles, des liquidités à bas prix de la Banque Centrale Européenne. Les marchés ont donc la clé du financement des États. Dans ce cadre, l’absence de solidarité européenne suscite la spéculation, d’autant que les agences de notation jouent à accentuer la défiance.

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Cette politique, qui a très provisoirement calmé la spéculation, a déjà des conséquences sociales très négatives dans de nombreux pays européens, tout particulièrement sur la jeunesse, le monde du travail et les plus fragiles. A terme elle attisera les tensions en Europe et menacera de ce fait la construction européenne elle-même, qui est bien plus qu’un projet économique. L’économie y est censée être au service de la construction d’un continent démocratique, pacifié et uni. Au lieu de cela, une forme de dictature des marchés s'impose partout, et particulièrement aujourd’hui au Portugal, en Espagne et en Grèce, trois pays qui étaient encore des dictatures au début des années 1970, il y a à peine quarante ans.
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En tant qu'économistes, nous sommes atterrés de voir que ces politiques sont toujours à l’ordre du jour et que leurs fondements théoriques ne sont pas remis en cause. Les arguments avancés depuis trente ans pour orienter les choix des politiques économiques européennes sont pourtant mis en défaut par les faits. La crise a mis à nu le caractère dogmatique et infondé de la plupart des prétendues évidences répétées à satiété par les décideurs et leurs conseillers. Qu'il s'agisse de l'efficience et de la rationalité des marchés financiers, de la nécessité de couper dans les dépenses pour réduire la dette publique, ou de renforcer le « pacte de stabilité », il faut interroger ces fausses évidences et montrer la pluralité des choix possibles en matière de politique économique. D'autres choix sont possibles et souhaitables, à condition d'abord de desserrer l'étau imposé par l'industrie financière aux politiques publiques.

 

Nous faisons ci-dessous une présentation critique de dix postulats qui continuent à inspirer chaque jour les décisions des pouvoirs publics partout en Europe, malgré les cinglants démentis apportés par la crise financière et ses suites. Il s'agit de fausses évidences qui inspirent des mesures injustes et inefficaces, face auxquelles nous mettons en débat vingt-deux contre-propositions. Chacune d’entre elles ne fait pas nécessairement l’unanimité entre les signataires de ce texte, mais elles devront être prises au sérieux si l’on veut sortir l’Europe de l'impasse.

FAUSSE EVIDENCE N°1: LES MARCHES FINANCIERS SONT EFFICIENTS

 

Pour réduire l’inefficience et l’instabilité des marchés financiers, nous suggérons quatre mesures :

 

Mesure n°1: cloisonner strictement les marchés financiers et les activités des acteurs financiers, interdire aux banques de spéculer pour leur compte propre, pour éviter la propagation des bulles et des krachs

 

Mesure n°2: Réduire la liquidité et la spéculation déstabilisatrice par des contrôles sur les mouvements de capitaux et des taxes sur les transactions financières

 

Mesure n°3: limiter les transactions financières à celles répondant aux besoins de l'économie réelle (ex.: CDS uniquement pour les détenteurs des titres assurés, etc.)

 

Mesure n°4 : plafonner la rémunération des traders

 

FAUSSE EVIDENCE N°2: LES MARCHES FINANCIERS SONT FAVORABLES A LA CROISSANCE ECONOMIQUE

Pour remédier aux effets négatifs des marchés financiers sur l’activité économique nous mettons en débat trois mesures :

 

Mesure n°5: renforcer significativement les contre-pouvoirs dans les entreprises pour obliger les directions à prendre en compte les intérêts de l'ensemble des parties prenantes

Mesure n°6: accroître fortement l'imposition des très hauts revenus pour décourager la course aux rendements insoutenables

Mesure n°7: réduire la dépendance des entreprises vis-à-vis des marchés financiers, en développant une politique publique du crédit (taux préférentiels pour les activités prioritaires au plan social et environnemental)

 

 

FAUSSE EVIDENCE N° 3 : LES MARCHES SONT DE BONS JUGES DE LA SOLVABILITE DES ETATS

Pour réduire l’emprise de la psychologie des marchés sur le financement des États nous mettons en débat deux mesures :

 

Mesure n°8: les agences de notation financière ne doivent pas être autorisées à peser arbitrairement sur les taux d’intérêt des marchés obligataires en dégradant la note d’un État : on devrait  réglementer leur activité en exigeant que cette note résulte d’un calcul économique transparent.

 

Mesure n°8bis : affranchir les États de la menace  des marchés financiers en garantissant le rachat des titres publics par la BCE.

 

FAUSSE EVIDENCE N° 4 : L'ENVOLEE DES DETTES PUBLIQUES RESULTE D'UN EXCES DE DEPENSES

 

Pour restaurer un débat public informé sur l’origine de la dette et donc les moyens d’y remédier nous mettons en débat une proposition :

Mesure n° 9: Réaliser un audit public et citoyen des dettes publiques, pour déterminer leur origine et connaître l'identité des principaux détenteurs de titres de la dette et les montants détenus.

 

FAUSSE EVIDENCE N°5 : IL FAUT REDUIRE LES DEPENSES POUR REDUIRE LA DETTE PUBLIQUE

Pour éviter que le rétablissement des finances publiques ne provoque un désastre social et politique nous  mettons en débat deux mesures:

 

Mesure n°10: Maintenir le niveau des protections sociales, voire les améliorer (assurance-chômage, logement…) ;

Mesure n°11: accroître l'effort budgétaire en matière d'éducation, de recherche, d'investissements dans la reconversion écologique... pour mettre en place les conditions d'une croissance soutenable, permettant une forte baisse du chômage.

FAUSSE EVIDENCE N°6: LA DETTE PUBLIQUE REPORTE LE PRIX DE NOS EXCES SUR NOS PETITS-ENFANTS

Pour redresser de façon équitable les finances publiques en Europe et en France nous mettons en débat deux mesures :

 

Mesure n°12: redonner un caractère fortement redistributif à la fiscalité directe sur les revenus (suppression des niches, création de nouvelles tranches et augmentation des taux de l’impôt sur le revenu…)

Mesure n°13: supprimer les exonérations consenties aux entreprises sans effets suffisants sur l'emploi

 

FAUSSE EVIDENCE N°7 : IL FAUT RASSURER LES MARCHES FINANCIERS POUR POUVOIR FINANCER LA DETTE PUBLIQUE

Pour remédier au problème de la dette publique nous mettons en débat deux  mesures :

 

Mesure n°14: autoriser la Banque centrale européenne à financer directement les États (ou à imposer aux banques commerciales de souscrire à l’émission d’obligations publiques) à bas taux d'intérêt, desserrant ainsi le carcan dans lequel les marchés financiers les étreignent

 

Mesure n°15: si nécessaire, restructurer la dette publique, par exemple en plafonnant le service de la dette publique à un certain % du PIB, et en opérant une discrimination entre les créanciers selon le volume des titres qu'ils détiennent: les très gros rentiers (particuliers ou institutions) doivent consentir un allongement sensible du profil de la dette, voire des annulations partielles ou totales. Il faut aussi renégocier les taux d’intérêt exorbitants des titres émis par les pays en difficulté depuis la crise.

 

FAUSSE EVIDENCE N°8: L'UNION EUROPÉNNE DÉFEND LE MODELE SOCIAL EUROPÉEN

La construction européenne apparaît comme un moyen d’imposer aux peuples des réformes néolibérales.

Pour que l’Europe puisse promouvoir véritablement un modèle social européen, nous mettons en débat deux mesures :

 

Mesure n°16: remettre en cause la libre circulation des capitaux et des marchandises entre l'Union européenne et le reste du monde, en négociant des accords multilatéraux ou bilatéraux si nécessaire

 

Mesure n°17: au lieu de la politique de concurrence, faire de « l'harmonisation dans le progrès » le fil directeur de la construction européenne. Mettre en place des objectifs communs à portée contraignante en matière de progrès social comme en matière macroéconomique (des  GOPS, grandes orientations de politique sociale)     

 

FAUSSE EVIDENCE N°9: L'EURO EST UN BOUCLIER CONTRE LA CRISE

Pour que l’euro puisse réellement protéger les citoyens européens de la crise nous mettons en débat deux mesures :

Mesure n°18: assurer une véritable coordination des politiques macroéconomiques et une réduction concertée des déséquilibres  commerciaux entre pays européens

Mesure n°19 : compenser les déséquilibres de paiements en Europe par une Banque de Règlements (organisant les prêts entre pays européens)

Mesure n°20: si la crise de l'euro mène à son éclatement, et en attendant la montée en régime du budget européen (cf. infra), établir un régime monétaire intra-européen (monnaie commune de type « bancor ») qui organise la résorption des déséquilibres des balances commerciales au sein de l'Europe.

FAUSSE EVIDENCE N°10:  LA CRISE GRECQUE A ENFIN PERMIS D'AVANCER VERS UN GOUVERNEMENT éCONOMIQUE ET UNE VRAIE SOLIDARITé EUROPéENNE

  Pour avancer vers un véritable gouvernement économique et une solidarité européenne nous mettons en débat deux mesures :

 

Mesure n°21:  développer une fiscalité européenne (taxe carbone, impôt sur les bénéfices, …) et un véritable budget européen pour aider à la convergence des économies et tendre vers une égalisation des conditions d'accès aux services publics et sociaux dans les divers États membres sur la base des meilleures pratiques.

Mesure n°22: lancer un vaste plan européen, financé par souscription auprès du public à taux d'intérêt faible mais garanti, et/ou par création monétaire de la BCE, pour engager la reconversion écologique de l'économie européenne.

 

 

                                                                        CONCLUSION

METTRE EN DÉBAT LA POLITIQUE éCONOMIQUE,

TRACER DES CHEMINS POUR REFONDER L’UNION EUROPéENNE

 

 

L'Europe s'est construite depuis trois décennies sur une base technocratique excluant les populations du débat de politique économique. La doctrine néolibérale, qui repose sur l'hypothèse aujourd'hui indéfendable de l'efficience des marchés financiers, doit être abandonnée. Il faut rouvrir l'espace des politiques possibles et mettre en débat des propositions alternatives et cohérentes, qui brident le pouvoir de la finance et organisent l'harmonisation dans le progrès des systèmes économiques et sociaux européens. Cela suppose la mutualisation d'importantes ressources budgétaires, dégagées par le développement d'une fiscalité européenne fortement redistributrice. Il faut aussi dégager les États de l’étreinte des marchés financiers. C'est seulement ainsi que le projet de construction européenne pourra espérer retrouver une légitimité populaire et démocratique qui lui fait aujourd'hui défaut.

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C'est pourquoi il nous semble important d'ébaucher et de mettre en débat dès maintenant les grandes lignes de politiques économiques alternatives qui rendront possible cette refondation de la construction européenne.

 

Premiers signataires :

Philippe Askenazy (CNRS, Ecole d’économie de Paris), Thomas Coutrot (Conseil scientifique d’Attac), André Orléan (CNRS, EHESS), Henri Sterdyniak (OFCE)

http://economistes-atterres.blogspot.com/

Petit résumé mais je vous conseille de lire lintégralité .V.L-H

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Publié dans Focus

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